Point sur le recrutement et l’évolution de carrière dans les métiers l’industrie

Philippe De Oliveira

Directeur de Perspectives Conseil – UIMM Loire, membre du Comité des Experts d’appel à projets.

Philippe De Oliveira compte parmi les experts d’Ilyse pour l’appel à projets « Nouvelles vocations professionnelles : en quoi les activités productives locales font-elles sens aujourd’hui ? ».  Il nous raconte son expérience et sa vision en tant que professionnel accompagnant des salariés dans l’évolution leur carrière.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Perspectives Conseil ?

Philippe De Oliveira : Nos interventions sont de différentes natures. Nous accompagnons par exemple le développement industriel des entreprises sur des projets à caractère innovant ou que nous qualifierons de R&D. Il s’agit là d’aider l’entreprise à se développer sur ses dimensions techniques, technologiques, organisationnelles et managériales. Nous avons aussi une activité en lien direct avec l’UIMM Loire : la certification professionnelle de la métallurgie. Je suis d’ailleurs référent départemental pour les certifications (CQPM et CCPM de la métallurgie). Mais notre cœur métier est d’accompagner les problématiques RH des entreprises. Qu’il s’agisse de problématiques individuelles ou orientées structures touchant notamment aux outils ou aux processus.
Depuis l’origine, la vocation de Perspectives Conseil est d’accompagner exclusivement les publics salariés de manière individuelle. Nous le faisons selon deux axes. Le premier est le bilan de compétence anonyme. C’est-à-dire que c’est le collaborateur lui-même qui décide à un moment ou un autre de sa vie professionnelle de prendre un peu de temps pour réfléchir à son évolution et à sa carrière. Le deuxième intéresse le processus de gestion des compétences et de carrière du salarié dans l’entreprise. Dans ce cas, nous identifions avec les équipes RH et le collaborateur les éventuelles trajectoires professionnelles qui pourraient lui être proposées au sein de l’organisation en fonction de ses appétences, de ses capacités et des besoins futurs de l’entreprise.

Est-ce que vous observez des reconversions professionnelles au sein du secteur industriel ?

Philippe De Oliveira : Nous accompagnons souvent des reconversions de personnes issues de l’industrie non pas pour qu’ils ou elles quittent le secteur mais plutôt pour qu’ils évoluent vers d’autres métiers de la filière. Quand on souhaite changer de vie professionnelle, de métier, un domaine d’activité comme l’industrie offre tellement de perspectives que leur connaissance et pratique du secteur industriel leur permet de capitaliser sur de solides bases pour le faire. Perspectives Conseil s’engage d’ailleurs à leur faire découvrir de nouveaux métiers dans l’industrie auxquels ils n’auraient pas imaginé pouvoir accéder. A l’inverse, nous avons accompagné des salariés qui se trouvaient dans des activités services mais qui ont eu besoin de concret et de travailler dans un domaine où l’on voit ce qu’on fait. On accompagne aussi des reconversions de personnes qui partent d’un secteur qui n’a rien à voir avec l’industrie pour rentrer dans le monde industriel. Ce n’est pas la majorité des cas mais ça arrive.

Selon vous qu’est-ce que les industriels pourraient faire pour pallier le problème de recrutement dans l’industrie ?

Philippe De Oliveira : Je pense que la problématique majeure de l’industriel est une problématique de temps. Pour poursuivre sa pérennisation, l’entreprise industrielle doit nécessairement continuer à produire. Pour cela elle a besoin de collaborateurs qui développent rapidement de l’efficacité professionnelle et des compétences adaptées aux besoins de l’entreprise. Aujourd’hui, le fait de faire migrer des compétences qui sont hors industries vers l’industrie en un temps court est extrêmement compliqué. Les évolutions techniques et technologiques des métiers industriels se complexifient de plus de plus. Quand on trouve des personnes motivées et mobilisées pour rejoindre le monde industriel, le temps de développement de la compétence pour qu’elles soient efficaces sur le plateau industriel est long.

L’industriel n’a peut-être pas toujours le bon discours qui lui permet d’être attirant et attrayant.

Le monde industriel inquiète aussi parce qu’il est mis très régulièrement en lumière au sujet des difficultés qu’il rencontre : fermeture de certaines activités, licenciement… Donc en plus de la nécessaire réactivité, de la complexité pour trouver la compétence attendue, il y a aussi une problématique d’image qui n’est pas évidente.
Selon moi, il est important que ceux qui sont en amont et qui peuvent être des prescripteurs de besoins industriels en termes de main d’œuvre aient aussi pleinement conscience des difficultés de l’entreprise. Il faut également que l’entreprise ait conscience des difficultés que cela peut représenter pour un salarié de switcher intellectuellement dans sa carrière.
Donc nous avons deux logiques, celle des industriels qui ont besoin de collaborateurs et de l’autre côté celle des prescripteurs qui peuvent amener des ressources mais qui ne sont pas complétement en phase avec les problématiques industrielles. Ces deux mondes s’affrontent car leurs logiques ne sont pas les mêmes.

Quelle solution peut apporter la fondation ILYSE, selon vous pour pallier ces problématiques ?

Philippe De Oliveira : Il y a une grosse problématique de sens, de compréhension et de cadre de référence. Le cadre de référence de l’industrie est assez simple : des carnets de commandes qui se remplissent et pour les réaliser, les entreprises ont besoin d’hommes et de femmes qui possèdent telles ou telles compétences dans tels ou tels domaines. Mais elles n’ont pas ces ressources humaines, il faut dont les trouver. Les écoles et les lycées sont un peu coincés dans les filières classiques car les études sont de plus en plus longues. Toute structure qui peut être en amont du monde industriel doit pouvoir amener l’industriel à réfléchir à ce qu’il propose : « quel sens je donne à ce que je demande ? » et au discours qu’il emploie.
Donc à un moment donné, il faut faire se rencontrer ces mondes. C’est en cela qu’Ilyse peut être intéressante. Elle se situe à l’interface des deux mondes et permet à des acteurs qui ne parlent pas la même langue, qui n’ont pas les mêmes références, ni les mêmes besoins de se rencontrer et d’échanger.
Il y a des axes de travail qui ne peuvent pas se réaliser ni dans l’entreprise ni dans des centres de formation qui, eux sont des développeurs de compétences pour le monde industriel.

Entre ces deux mondes, il faut qu’il y en ait un troisième qui permette de faire comprendre, de donner du sens, de travailler sur l’adéquation des cadres de références. Donc un acteur tiers comme la fondation ILYSE permet de faire se poser les bonnes questions

Un industriel n’a pas le temps donc il faut le sortir de son contexte pour l’amener à travailler et à réfléchir différemment. Les prescripteurs et organismes de formation sont également dans leur logique de recherche de main d’œuvre à former et à proposer aux entreprises. Personne ne se posent les bonnes questions du sens à donner, de la compréhension ce pourquoi l’on travaille.
Une fondation, comme Ilyse, avec des appels à projets est intéressante pour récupérer des flux financiers, pour les dériver un moment afin de créer ce sas d’adaptation et in fine pour faciliter la performance des deux côtés que soit en formation ou en entreprise. Sans ça, nous sommes face à des échecs permanents.

Si vous aviez une baguette magique que mettriez-vous en place pour faciliter la prescription et le choix de l’industrie ?

Philippe De Oliveira : Puisqu’on est dans des problématiques de sens et de compréhension, si je pouvais j’aimerais arrêter le temps justement. Aujourd’hui, l’entreprise ne peux pas s’arrêter, c’est- à-dire que son processus de production nécessite des installations ainsi que des hommes et des femmes qui fassent tourner ces installations. Donc l’entreprise est systématiquement en flux tendu. Il y a un flux permanent qui fait que l’entreprise doit réagir et s’adapter assez vite. C’est pareil pour les prescripteurs. Leur travail consiste à identifier et mettre les bonnes personnes dans les bons parcours. Pour cela, il faudrait faire un arrêt sur image. Mais il se peut que l’industriel n’ait pas transféré les bonnes informations, donc que le prescripteur ait effectué son travail en décalage par rapport aux réels besoins de l’industriel… Et ainsi de suite.  On finit systématiquement à flux tendu et on n’a pas cette dérivation qui mettrait les gens hors contexte.
Selon moi, la solution idéale serait d’arrêter les choses pour pouvoir se donner les moyens de construire quelque chose qui n’est pas classique.

Vous avez été expert durant tout le processus de lancement de l’appel à projets autour de la reconversion professionnelle pour Ilyse, que vous a apporté cette expérience ?

Philippe De Oliveira : C’est intéressant à plusieurs titres. D’abord, on est sollicité pour une expertise c’est-à-dire une vision, une connaissance, une pratique d’un domaine particulier par exemple ici le monde industriel. On vient avec une logique de raisonnement, une logique de fonctionnement et le fait d’être confronté à d’autres logiques, le fait d’être sollicité en tant qu’expert ça oblige à la remise en question et à avoir une certaine humilité sur cette notion d’expertise.

C’est bon pour abattre les certitudes, les opinions, les stéréotypes et ça oblige à prendre beaucoup de recul.


L’expérience que j’en tire c’est qu’on est parfois un peu naïf par rapport à l’objectif. On est enthousiaste à l’idée de rencontrer tous ces gens qui veulent que ça change mais on se rend compte qu’il y a plein de logiques, d’objectifs et d’enjeux qui s’affrontent et qui ne sont certainement pas les mêmes. Le fait de devoir prendre du recul, de s’extraire de son quotidien, de réfléchir autrement permet d’utiliser l’expertise différemment. Ça apprend également à être très humble et à se poser la question de l’objectivité de la manière dont on voit les choses et les gens. On se rend compte qu’on n’est pas si expert que ça parce qu’encore une fois il y a tellement d’enjeux et de cultures qui se confrontent, qu’on finit par se demander de quoi nous sommes véritablement experts. Nous n’avons qu’une vision parcellaire des choses. Pour avoir une vision complète, je suis obligé d’aller chercher la vision des autres qui n’est peut-être pas la mienne.

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