Le Musée d’Histoire de Lyon (MHL) a ouvert, fin 2022, une exposition permanente qui retrace l’aventure industrielle de Lyon du 17ème siècle à nos jours. Xavier de la Selle, Directeur du MHL, et Bénédicte Auriault, Chargée de médiation et de développement des publics, expliquent pourquoi il était nécessaire de parler d’industrie pour raconter l’histoire de la ville aux habitants.
Pourquoi avoir fait le choix de l’industrie pour faire le récit de l’histoire de Lyon ?
Xavier de la Selle : L’industrie est incontournable lorsqu’il s’agit de raconter l’histoire du patrimoine urbain, social et des savoir-faire lyonnais de la ville.
L’industrie est, sans doute, ce qui caractérise le plus l’histoire lyonnaise. Elle en a façonné la physionomie et conditionné le destin.
De son commencement avec les Canuts, producteurs de soie, au développement du métier Jacquard et des procédés chimiques qui ont fait émerger les industries mécaniques, informatiques et médicales d’aujourd’hui. Tout nous lie à l’industrie. Certains marqueurs historiques nationaux voire internationaux expliquent aussi les mouvements des populations qui se sont installées à Lyon pour travailler dans cette industrie en pleine expansion ; et de faire des liens avec l’histoire politique de la ville. Au 19ème siècle par exemple, la population ouvrière lyonnaise est la plus importante en Europe. Le dynamisme économique de Lyon aujourd’hui encore n’est donc pas un effet rhétorique. Enfin, le développement urbain d’Est en Ouest de la ville s’explique aussi par le mouvement de colonisation des industriels lyonnais amorcé par les soyeux qui, manquant de place à la Croix Rousse, ont investi la rive gauche du Rhône alors rendue non-inondable. Ce n’est donc pas un hasard et ce récit est très puissant. La question qu’il faut se poser est « pourquoi Lyon a-t-elle tourné le dos à son histoire industrielle ? » Peut-être simplement parce que cette histoire n’est pas révolue !
Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la partie de l’exposition en lien avec l’industrie contemporaine ?
Xavier de la Selle : Gadagne (le MHL de Lyon) n’est plus seulement un musée d’histoire de la ville qui s’intéresserait à une période historique. Notre mission est de donner des clés de lecture et de compréhension de notre monde urbain pour les gens aujourd’hui.
Grâce à cette salle que l’on emprunte en fin ou en commencement de parcours, on permet aux visiteurs de filer une réflexion autour des préoccupations réactivées par la crise sanitaire : la relocalisation, les circuits de production, le travail dans l’industrie par exemple.
Mais aussi de se poser la question, collectivement, avec tous les acteurs – de la culture, de l’industrie, des collectivités – de la place de l’industrie dans la ville aujourd’hui. Cette salle est donc le point de départ de quelque chose qui est, et sera, en perpétuel mouvement puisque, au rythme des évolutions économiques, aujourd’hui c’est déjà hier. Cela ouvre des perspectives de collaborations nouvelles pour le MHL avec les industriels locaux qui souhaitent, avec nous, continuer à écrire l’histoire industrielle de Lyon.
Vous avez travaillé avec les entreprises AB Fonderie et JST pour monter cette partie de l’exposition. Comment avez-vous procédé ?
Xavier de la Selle : Au-delà de la question du paysage industriel abordé notamment par une étude photographique sur la vallée de la chimie, nous tenions en effet à valoriser les hommes et les femmes qui travaillent dans l’industrie lyonnaise. AB Fonderie – située à Saint-Genis-Laval – a totalement souscrit à l’idée ! Ainsi l’exposition met en lumière les visages, les mains, les gestes de leurs ouvriers, mais aussi la matière utilisée avec des clichés magnétiques autour de l’aluminium fondu.
Bénédicte Auriault : Avec l’entreprise JST nous avons plutôt traité l’angle des métiers et fait intervenir, pour ce faire, des jeunes de l’EPIDE de Meyzieu, un centre d’insertion professionnel pour les 18 – 25 ans. Ces jeunes, encadrés notamment d’un photographe professionnel du Collectif Item, sont venus interviewer les salariés et découvrir la diversité de leurs métiers, de leurs parcours, de leurs motivations. Le but étant aussi de changer leur regard sur le milieu industriel et d’éveiller, pourquoi pas, des vocations… Le fruit de cette rencontre est restitué au travers d’une série de photographies exécutées par les jeunes eux-mêmes, et présentées sur l’un des murs de l’exposition. A l’issue de ces travaux, nous tenions à préserver les liens construits avec les entreprises, leurs salariés et les jeunes car c’est aussi ce que nous cherchons à faire au MHL : créer des liens avec les acteurs du territoire lyonnais !
Le médium artistique est un super outil ! Lorsque les jeunes ont vu leur travail exposé sur les murs du musée pendant le vernissage, ils étaient si fiers. C’était beau de voir ça dans leurs yeux.
Quels ont été, de votre point de vue, les bénéfices complémentaires de cette médiation entre le MHL, les jeunes de l’EPIDE et les entreprises industrielles du territoire ?
Bénédicte Auriault : Le fait que le projet photographique consacrée à « l’industrie lyonnaise aujourd’hui » ait été réalisé par des jeunes nous permet de faire le lien avec notre public cible. Nous sommes un musée grand public, mais l’exposition « Qu’est-ce que tu fabriques ? » porte une attention particulière aux adolescents de 12 à 15 ans. Même si les jeunes de l’EPIDE sont plus âgés ils ont tout de même apporté un regard neuf sur le secteur industriel, celui d’une jeunesse qui s’interroge sur son avenir professionnel.
Pour ce qui est de la collaboration avec les acteurs industriels, il faut avouer que c’est une posture assez rare pour un musée d’histoire comme le nôtre. Alors que les musées de Techniques et de Sociétés – comme le Musée d’Art et d’Industrie à Saint-Étienne par exemple – ont l’habitude de ces partenariats avec le monde socio-économique, les musées comme Gadagne ont plutôt l’habitude de travailler avec des acteurs surtout culturels. Cette exposition constitue donc à la fois un tournant pour le MHL et un point de départ pour développer davantage de synergies avec le secteur industriel et le monde de l’entreprise de manière générale.
Xavier de la Selle : Nous n’avons pas véritablement réalisé de cartographie des entreprises industrielles au préalable. Le partenariat avec AB Fonderie et JST s’est noué par opportunité, grâce à un lien préexistant avec la Métropole de Lyon. Ça a aussi fonctionné parce que ce sont des entreprises qui démontrent déjà une forme assumée d’ouverture à ces projets. AB Fonderie n’a pas hésité à arrêter la production pendant une journée pour inviter ses salariés à une visite de l’exposition.
JST et AB Fonderie ont été disposées à nous accueillir, se faire photographier et à passer du temps avec nous malgré l’impact que cela peut avoir sur leur cœur de métier, la production.
On constate qu’une fois que le partenariat est en place, ça fonctionne !
Il y a forcément une alliance à redévelopper entre nous car, dans le récit historique officiel de la ville qui a pu être porté dans le passé, on n’évoquait pas la personnalité industrielle et ouvrière de Lyon. En remettant sur le devant de la scène une réalité bien ancrée sur le territoire nous reconnectons avec cette industrie toujours bien présente dans le paysage urbain. Des imbrications avec la fondation ILYSE, avec les dispositifs lauréats portés par des acteurs de médiation industrielle sont à exploiter… Une visite de l’exposition, un atelier de découverte des métiers, des rencontres en entreprises… Nous pouvons mettre en commun nos manières de faire surtout quand elles sont complémentaires.